El Mordjene (pâte à tartiner algérienne halal) ou quand le Nutella devient civilisationnel

Saisie en masse par les douanes françaises, El Mordjene (pâte à tartiner algérienne halal) a enflammé les réseaux sociaux et déclenché une vague de polémiques bien au-delà du rayon confiserie. Accusée de contourner les normes européennes sur les produits laitiers, elle est perçue par une partie de la diaspora comme une victime symbolique du racisme, de l’islamophobie et de l’héritage colonial. Derrière cette guerre de pots se profile un affrontement bien plus vaste : entre protectionnisme économique, identités post-migratoires, héritages coloniaux refoulés et soupçons d’“apartheid réglementaire”. Faut-il y voir une simple question de conformité ou un énième épisode d’un choc des civilisations à la française, version pâte à tartiner ?

La très « diverse » ville portuaire de Marseille est aujourd’hui l’un des principaux points d’entrée en Europe pour les substances illicites. On n’y parle plus seulement de drogues comme l’héroïne ou la cocaïne, mais aussi… de versions musulmanes interdites de Nutella.

En mai, les douanes françaises ont saisi 15 300 pots d’une pâte à tartiner sucrée à la noisette appelée El Mordjene, fabriquée en Algérie par l’entreprise familiale Cebon. Une sucrerie que le gouvernement français, malgré le slogan publicitaire humoristique de la marque (c’est bon), ne semble pas juger si bonne que ça. En vertu d’une obscure disposition européenne (article 20, paragraphe 3 du règlement n°2202/2292), l’importation de produits laitiers en provenance de pays tiers est interdite. Or El Mordjene contient 12 % de lait en poudre, ce qui en fait un produit banni du marché européen.

Mais pour de nombreux Algériens, cette interdiction n’a rien à voir avec la réglementation alimentaire. Ce n’est pas le lait le problème, mais l’islam. Dans la diaspora, le produit est perçu comme un symbole culturel interdit, une pâte halal jugée trop musulmane pour l’Europe. Sur son étiquette : une femme en hijab blanc, sourire lumineux, qui identifie d’emblée El Mordjene comme un produit « mosquée-friendly ». L’interdiction est donc vite devenue, selon certains, une manière détournée de refouler les Algériens… par cargaisons de confiture interposées.

Une pâte hautement symbolique

El Mordjene s’est popularisée en France en 2024, notamment grâce à des influenceurs issus de la communauté algérienne, qui en faisaient l’éloge sur les réseaux sociaux en musique… religieuse. Dans certaines vidéos, la pâte à tartiner était célébrée sur fond de nasheeds, ces chants spirituels islamiques, avec un message sous-jacent : « Regardez, on fait mieux que les infidèles ».

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