L’extrême-droite française a dénoncé, ces derniers jours, les propos d’Emmanuel Macron relatifs à la menace russe. Mais loin d’être opposée au réarmement militariste et impérialiste, elle entend surtout appeler à prioriser la propagation du racisme et de l’islamophobie.
Depuis le tournant entamé par Trump autour de l’Ukraine, l’extrême-droite française peine à se positionner. Malgré sa proximité avec le chef d’État russe, elle est obligée de garder ses distances étant donné la situation internationale. Dans les différents secteurs de l’extrême-droite, politiques ou médiatiques, des positions sont affirmées contre les politiques de défenses communes européennes, ou contre l’hostilité envers la Russie. Pour justifier ces positions à contre-courant, elle se cache sous le mot d’ordre trompeur de la « paix ».
En effet, le 7 mars, Marine Le Pen déclarait dans le Figaro : « Il n’y a pas un Français qui n’a pas compris qu’Emmanuel Macron, avec un ton très martial, nous explique quasiment qu’il faut transformer les usines de Kleenex en usines d’armement parce que la guerre est pour demain ». Du côté du JDD, détenu par le milliardaire d’extrême-droite Vincent Bolloré, on retrouve des propos similaires, dénonçant Emmanuel Macron qui « exagère la menace russe [et] agite les peurs pour donner le change ». Les propos d’éditorialistes sur d’autres chaînes et de télévision ou radio du groupe comme CNews ou Europe 1, allant parfois jusqu’à accuser le Président de vouloir déclencher une guerre avec la Russie, ont amené l’Elysée à sortir un communiqué appelant les médias du groupe Bolloré à respecter la « parfaite véracité des faits ». Le 9 mars, une manifestation parisienne organisée par Florian Philippot et son parti Les Patriotes scandait « La France veut la paix ! L’UE c’est la guerre ! ». La contestation du discours militariste de Macron par l’extrême-droite trouve également écho à l’international, comme avec le vice-premier ministre italien Matteo Salvini déclarant il y a quelques jours : « Zelensky demande la paix, Trump œuvre pour la paix, Poutine veut la paix [tandis qu’] à Bruxelles et Paris, il y a un fou ».
Il est vrai qu’avec un discours alarmiste, utilisant une rhétorique guerrière comparant la situation actuelle à la veille des précédentes guerres mondiales au détriment des volontés et capacités réelles du régime russe, le gouvernement veut faire du soutien à l’Ukraine la justification de l’escalade militariste en cours suite au désengagement européen des États-Unis, tout en s’attaquant aux oppositions de gauche et d’extrême-droite.
Mais si la direction du RN dénonce la propagande médiatique abusive contre la menace russe, c’est avant tout pour défendre une approche stratégique différente concernant le maintien des intérêts de l’impérialisme français. Prônant une position nationaliste et eurosceptique, comme par exemple l’opposition à élargir le parapluie nucléaire français à d’autres pays européens, Le Pen appelle à « dialoguer y compris avec des dirigeants avec lesquels nous avons de profonds désaccords ». En effet, le parti est marqué par une histoire de proximité avec la Russie, avec un appui financier du régime de Poutine (rapidement remboursé suite à l’invasion de l’Ukraine), une fascination pour sa politique réactionnaire et autoritaire et une volonté de rapprochement économique. Jordan Bardella, s’adressant à une frange de l’électorat moins traditionnellement acquise au RN, a un discours plus compatible avec le consensus européen. « La Russie est évidemment une menace aujourd’hui multidimensionnelle pour la France et pour les intérêts européens », a-t-il déclaré le 10 mars sur France Inter tout en préconisant une « préférence européenne » pour les achats d’armement.
Il serait donc faux de croire que, par les formules dénonçant la propagande va-t-en guerre du gouvernement, l’extrême-droite voudrait dénoncer la course au réarmement ou les guerres capitalistes. Le 3 mars dernier, Le Pen a effectivement déclaré à l’Assemblée Nationale que la « France doit renouer avec sa grandeur militaire ». Le journal financier Capital, propriété du groupe Bolloré, titre, en réaction au record boursier des industries de l’armement, « Comment investir pour profiter du boom du secteur de la défense ? ».
Se présenter contre la guerre, ne signifie en rien une rupture avec son impérialisme. Donald Trump en est le parfait exemple. Ayant fait sa campagne sur la « paix », se targuant d’obtenir des cessez-le-feu en Ukraine et à Gaza, il mène en réalité une politique impérialiste particulièrement offensive. Pillage des sols de l’Ukraine, déportation de masse à Gaza, ses projets ne constituent en rien une paix pour les travailleurs des pays opprimés. Un impérialisme par la « paix » est possible, mais pas plus enviable. De plus, la bourgeoisie d’extrême-droite n’hésiterait pas à envoyer des soldats combattre dans une ancienne colonie ou un pays voisin si leurs intérêts s’en trouvaient menacés. C’est notamment grâce à l’impérialisme français et sa domination sur ses semi-colonies africaines, que Bolloré a pu monter son empire.
Mais si l’union des travailleurs français contre les travailleurs russes n’est pas à l’agenda du RN, souder les classes populaires avec la bourgeoisie et l’État français dans une haine commune des immigrés et des musulmans est en revanche sa priorité. « Le fondamentalisme islamiste reste la première des menaces », déclare Le Pen au Figaro, interviewée au sujet du conflit avec la Russie. Une conception reprise par l’ancienne coqueluche des médias Bolloré, Éric Zemmour, qui a affirmé sur BFMTV que « la menace existentielle n’est pas la Russie, c’est le Sud et le grand remplacement ».
Pas plus que l’extrême-droite ne pourrait constituer un allié face au tournant militariste, le gouvernement ne nous protégera pas de l’extrême-droite. L’exaltation du patriotisme, promue par toute la classe politique pour préparer les travailleurs à aller mourir au front pour leurs compatriotes industriels, est un terreau fertile pour la montée du racisme et du nationalisme. Face aux patrons, au gouvernement et à l’extrême-droite, qui veulent monter les travailleurs les uns contre les autres, qu’il s’agisse des travailleurs russes ou des travailleurs immigrés, nous ne pourrons venir à bout du racisme et de la marche à la guerre que par l’union internationaliste des travailleurs. C’est contre ceux qui veulent nous imposer l’austérité pour construire des armes, et qui nous enverront plus tard sur un champ de bataille, qu’il est urgent de nous mobiliser.