Israël étend et intensifie son offensive en Cisjordanie

Alors qu’Israël étend et intensifie son offensive en Cisjordanie, peu de réactions se font entendre dans la communauté européenne, qui recevait hier le ministre des affaires étrangères israélien pour la réunion annuelle du conseil d’association entre l’Union Européenne (UE) et Israël.

Depuis l’entrée en vigueur de la première phase de l’accord de cessez-le-feu à Gaza, Israël mène une nouvelle offensive meurtrière en Cisjordanie, décrite par les habitant·es comme « pire que la deuxième Intifada ». L’armée israélienne a commencé par investir brutalement le camp de Jénine, déjà au cœur d’affrontements depuis plusieurs semaines suite une vague de répression brutale de l’Autorité Palestinienne (AP), avant d’étendre ses attaques à Tulkarem, Nur Shams, et récemment à Qabatiya. Des tanks israéliens ont pénétré dans Jénine pour la première fois depuis plus de 20 ans.

À travers tout la Cisjordanie, des barrières ont été installées pour bloquer tout passage entre les villes, rendant les déplacements quotidiens impossibles pour les Palestinien·nes. La violence coloniale a également connu une escalade exponentielle à travers les attaques des colons, qui ont multiplié les provocations et agressions sous le regard bienveillant des autorités israéliennes.

Depuis le début de cette opération, baptisée « Mur de Fer », l’armée israélienne a assassiné au moins 51 Palestiniens, dont sept enfants, déplacé de force plus de 40 000 personnes avant de détruire des bâtiments d’habitations et infrastructures sanitaires et de déclarer que les populations déplacées ne seraient pas autorisées à retourner chez elles, renforçant les craintes de nombreux·ses analystes qu’Israël ne souhaite annexer définitivement le territoire. Les Nations Unies ont décrit les « frappes aériennes, les bulldozers blindés, les détonations contrôlées et les armes de pointe » des FDI en Cisjordanie comme « une propagation de la guerre à Gaza », provoquant des niveaux de déplacement forcé jamais vus depuis la Naksa en 1967.

Au moins 923 Palestiniens ont été tués et près de 7 000 autres blessés dans des attaques menées par l’armée osraélienne et des colons illégaux depuis le début de la guerre génocidaire contre la bande de Gaza le 7 octobre 2023. En juillet 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a déclaré que l’occupation de longue date des territoires palestiniens par Israël était illégale, exigeant l’évacuation de toutes les colonies de peuplement en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Les États membres de la CIJ, dont les états européens, sont tenus de tout mettre en œuvre pour appliquer cette décision.

Malgré la condamnation unanime de la part des organismes de défense des droits humains de cette escalade de violence que beaucoup qualifient d’extension de la campagne génocidaire menée par Israël à Gaza depuis 15 mois, les dirigeants européens ne se sont pas exprimés sur le sujet, se contentant de déclarations consensuelles en faveur de la poursuite des négociations en vue d’une seconde phase de l’accord de cessez-le-feu à Gaza.

Le ministre des affaires étrangères accueilli par le conseil européen

Lundi 24 février, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont accueilli Gideon Sa’ar, ministre israélien des Affaires étrangères, à Bruxelles à l’occasion du Conseil d’association UE-Israël. Cette réunion, d’ordinaire annuelle, n’avait pas eu lieu depuis 2022, et la venue du ministre israélien a provoqué les critiques de défenseur·euses des droits humains.

Le même jour, deux membres du Parlement européen, qui devaient se rendre en Cisjordanie pour rencontrer des membres de l’Autorité Palestinienne, se sont vu refuser l’entrée en Israël et ont été renvoyées en Europe. La députée irlandaise Lynn Boylan et l’urgence française-député français Rima Hassan, membres du groupe de gauche ouvertement critiques la politique israélienne, ont en effet été refoulées à l’aéroport de Ben Gurion près de Tel Aviv peu de temps après l’atterrissage. Un communiqué du ministère de l’intérieur israélien a expliqué que Rima Hassan se voyait refuser l’accès en raison de ses appels au boycott, une action pourtant légale et légitimée à plusieurs reprises par des décisions de justice internationale. Un contraste étonnant avec l’accueil européen du ministre Gideon Sa’ar, qui est ouvertement un fervent défenseur de la colonisation illégale de la Cisjordanie.

« Il est inadmissible que l’UE déroule le tapis rouge pour le ministre des Affaires étrangères Gideon Sa’ar, dont le supérieur, le Premier ministre Benjamin Netanyahou, est recherché par la CPI. Les discussions sur les futures relations de l’UE avec Israël devraient avant tout insister sur la nécessite de traduire en justice Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant devant la CPI pour leurs crimes présumés, ainsi que sur le respect du droit international par Israël et la fin de l’apartheid. Les dirigeant·e·s de l’UE doivent faire passer leurs engagements en faveur du droit international, des droits humains et de la CPI avant des conférences diplomatiques soigneusement chorégraphiées avec Israël », a déclaré Eve Geddie, directrice du Bureau européen d’Amnesty International.

Dans une lettre adressée aux dirigeants de l’Union européenne, 125 organisations internationales, dont Oxfam et Human Rights Watch, ont demandé à l’Union européenne de revoir la conformité des autorités israéliennes aux engagements en matière de droits humains en vertu de l’accord de partenariat entre l’Union européenne et Israël, insistant que le cessez-le-feu à Gaza « ne doit pas servir de prétexte à l’UE pour reprendre ses relations habituelles avec Israël ou approfondir ses relations bilatérales ».

En février 2024, les dirigeants espagnol et irlandais ont adressé une lettre à la Commission européenne pour demander un examen du respect par Israël de ses obligations en matière de droits de l’homme en vertu de l’accord d’association UE-Israël de 2000, qui constitue la base de la coopération politique et économique entre les deux parties.

Mais avant la réunion de lundi, les 27 pays membres du bloc ont négocié une position de compromis qui loue les domaines de coopération avec Israël tout en soulevant des préoccupations. Le ministre israélien a coprésidé une réunion du Conseil d’association UE-Israël avec la responsable de la politique étrangère de l’UE, Kaja Kallas, lors de la première session de ce type depuis 2022. Mme Kallas a qualifié la session de « franche », déclarant lors de la conférence de presse conjointe : « Je suis heureuse que nous puissions faire cela avec vous ».

Selon un document de préparation du Conseil, consulté par Reuters et EU Observer, les ministres de l’UE avaient prévu de faire l’éloge des liens économiques et scientifiques israéliens dans leur déclaration, tout en soulevant des inquiétudes : « L’UE est gravement préoccupée par le fait que l’occupation du territoire palestinien qui a commencé en 1967 se poursuit à ce jour, soulignant […] que la Cour internationale de justice a conclu [en juillet 2024] que la présence continue d’Israël dans le territoire palestinien occupé est illégale ».

 

La haute-représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Kaja Kallas, rencontre le ministre des affaires étrangères israélien, Gideon Saar, au siège du Conseil européen, à Bruxelles, lundi 24 février 2025. VIRGINIA MAYO / AP