Affaires Betharram / Stanislas : La vitrine de l’islamophobie d’Etat

L’État français a rompu le contrat du lycée Averroes, classé meilleur lycée de France, après plus de 10 contrôles en 3 ans, des rapports de la préfecture tronqués, selon Mediapart, et avec pour raison invoquée officiellement par le gouvernement… un livre dans une bibliographie. Le 10 janvier dernier, le dernier lycée musulman encore sous contrat, Al-Kindi, situé à Décines-Charpieu, a vu celui-ci résilié par la préfecture pour « atteintes aux valeurs de la République. Les lycées qui ne sont pas sous contrats sont l’objet de perquisitions systématiques, surtout destinées à impressionner les responsables et les parents d’élèves. D’autres écoles ont été fermées pour des motifs aussi graves qu’une porte jugée mal sécurisées, ou un réfrigérateur mal réglé.

L’établissement catholique privé Betharram, lui, est toujours ouvert, malgré plus de cent plaintes pour viols, violences et agressions sexuelles. Malgré les témoignages qui s’accumulent suite aux révélations de Mediapart, le lycée est toujours protégé par le premier ministre François Bayrou, dont l’épouse a enseigné dans l’établissement

Comment interpréter cette différence de traitement sinon par une politique discriminatoire à l’égard des établissements musulmans ? À Nanterre, l’État se mobilise pour bloquer l’agrandissement d’une mosquée. Soutenu par la mairie, le projet d’extension de l’institut religieux bute depuis six ans sur l’opposition systématique du préfet, un proche de Gérald Darmanin.

Le 5 février dernier, l’Imam Noureddine Aoussat a eu la surprise de voir débarquer chez lui les forces de l’ordre qui ont procédé à une brutale et humiliante perquisition de son domicile, devant sa femme et ses enfants. L’appartement a été fouillé de fond en comble par des policiers dont certains cagoulés, les livres ont été inspectés, y compris ceux des enfants et le matériel informatique de l’imam ainsi que celui de son fils a été saisi.
Cette perquisition n’a été suivie d’aucune garde à vue ni d’aucune poursuite, et pour cause, elle se fait à titre purement préventif, en s’appuyant sur un faisceau de rumeurs malveillantes digne d’une mauvaise fiche de renseignements et en tronquant les rares faits invoqués.
On prête ainsi à Noureddine Aoussat l’appartenance à un parti politique algérien, le FIS, il y a une vingtaine d’années : il ne l’a jamais fréquenté. On lui reproche de commenter l’actualité sur une chaîne de télévision algérienne, Al-Magharibia : cette chaîne est tout à fait mainstream et y interviennent même des ambassadeurs français. On l’aurait aperçu avec un Keffieh : il revendique la solidarité avec le peuple palestinien.
Noureddine Aoussat est bien connu du milieu des intellectuels musulmans. C’est un homme sage, qui prône le dialogue entre les confessions. L’accusation qui lui est faite de formuler des discours pouvant alimenter le terrorisme est une absurdité, lui qui s’est engagé depuis des années dans le dialogue inter-religieux et participait il y a peu aux festivités de Roch Hachana aux côtés de ses camarades de confession juive de Tsedek.
Mais voilà. Il élève la voix contre les massacres subis par les Palestiniens de Gaza, et a mis en évidence le racisme anti-musulman de Charlie Hebdo qui, depuis sa reprise en 1992 par une nouvelle équipe a changé radicalement sa ligne éditoriale formulée initialement par Cavanna et le Professeur Choron.

Alors bien sûr, le gouvernement français oppose à cette idée d’islamophobie d’État la volonté de Bruno Retailleau de continuer le travail effectué par son prédécesseur pour officialiser un statut de l’imam. Certains responsables musulmans y croient, et continuent de participer aux travaux du FORIF, avec sans doute la naïveté de croire à la sincérité d’un pouvoir qui, par ailleurs, continue de brimer les musulmans. Le vote récent d’une proposition de loi visant à interdire le port du hijab dans les compétitions sportives en est une illustration. Ils ignorent peut-être, malgré leur bonne foi évidente, que l’agneau ne devrait pas écouter les promesses du loup, et que ces manœuvres du ministre de l’intérieur n’ont d’autre but que de prendre le contrôle de la religion musulmane, au mépris d’ailleurs du principe de séparation de l’église t de l’État.

MusulmansenFrance

Le scandale qui touche aujourd’hui le groupe scolaire Notre-Dame de Bétharram avec de lourdes accusations de violences et de viols, met à nouveau en difficulté le gouvernement français, en impliquant l’actuel Premier ministre François Bayrou, comme l’avait été l’ancienne ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, dans l’affaire Stanislas.

Ces deux établissements catholiques sous contrat avec l’Etat, dont les dérives et méthodes semblent avoir toujours été connues, ont bénéficié d’une certaine complaisance de la part des autorités, alors même que l’Etat, mène des contrôles très réguliers et procède à la résiliation des contrats de plusieurs établissements musulmans, pour des faits dont certains sont contestés ou dérisoires.

Face à l’ampleur des révélations, alors que pas moins de 112 plaintes ont été déposées par d’anciens élèves de Bétharram et qu’une enquête a été ouverte par le parquet de Pau, le ministère de l’Éducation nationale, dirigé par Élisabeth Borne, a fini par diligenter une inspection, afin de s’assurer du bon fonctionnement de l’établissement confessionnel.

Pour autant, la colère continue de gronder du côté de La France Insoumise (LFI), qui réclame la démission de François Bayrou, dont les enfants ont été scolarisés à Bétharram, et qui est aujourd’hui accusé d’avoir eu connaissance de certains faits sans jamais les avoir signalés à la justice.

Du côté des structures musulmanes, le ton est néanmoins différent, mais les questionnements nombreux, poussent certaines personnalités à pointer « une rupture d’égalité » entre la manière dont sont traités les établissements musulmans, et la complaisance, voire la passivité dont font preuve les autorités dans leur approche vis-à-vis d’associations catholiques, y compris lorsque les faits pointés relèvent potentiellement d’une Cour d’Assises.

– « Un traitement inéquitable »

Dans un entretien à Anadolu, Maître Sefen Guez Guez, avocat de plusieurs établissements musulmans, pointe « le traitement inéquitable qui est fait au réseau éducatif musulman ».

« C’est une réalité objective et absolue puisqu’il y a eu les ruptures des contrats d’association d’Averroes et d’Al Kindi sur des considérations uniquement administratives, voire politiques, qui auraient pu être résolues sans procéder à la rupture du contrat d’association », estime le conseil.

Il souligne à cet effet que « pour Bétharram, on annonce à l’avance une inspection dans un mois pour regarder si les soupçons de violences ont toujours cours à Bétharram, alors que pour Al Kindi ou Averroès, on a toujours procédé à des inspections réalisées de manière inopinée pour essayer de déceler n’importe quelle irrégularité pour justifier d’une rupture des contrats d’association ».

Plaidant pour que « le principe soit l’accompagnement », Maître Guez Guez assure que « cet accompagnement n’a jamais été proposé aux établissements confessionnels musulmans qui n’ont eu comme seule alternative que la rupture de leurs contrats d’association ».

Et de poursuivre : « On aurait souhaité, au niveau du réseau musulman, bénéficier de cet accompagnement de l’Etat. On n’est pas du tout sur la même gravité des faits et pourtant ça ne nous a jamais été proposé. Je ne suis pas favorable à ce qu’on résilie les contrats des établissements scolaires, mais plutôt qu’on puisse corriger les manquements, y compris à Bétharram ».

Pour l’avocat, l’Etat a fait peser sur les structures musulmanes « une responsabilité collective » lorsqu’il y a eu des éléments à corriger, alors que pour d’autres groupes scolaires dont Bétharram, « c’est la responsabilité individuelle qui prime ».

« On n’a jamais invoqué cette responsabilité collective d’un groupe scolaire pour justifier la résiliation d’un contrat d’association. On est allé chercher la responsabilité individuelle de chacun, sauf pour les établissements musulmans », grince enfin le juriste.

– Un déficit de contrôle

Du côté de la classe politique, cette même inégalité de traitement est soulevée par LFI, qui réclame la démission de François Bayrou, mais également l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire afin que la lumière soit faite sur ce qui a pu se produire à Bétharram ainsi que sur la responsabilité de ceux qui n’ont jamais signalé les violences alors qu’ils en ont eu connaissance.

Sur ce point, le député et coordinateur national de LFI, Manuel Bompard, rappelle que « ces derniers mois, on a fermé des écoles musulmanes qui ont été contrôlées 5 ou 6 fois dans la même année et on apprend maintenant que des écoles catholiques n’ont pas été contrôlées pendant des dizaines et des dizaines d’années ».

« Toutes les écoles sous contrat doivent être soumises aux mêmes règles de contrôle » et ne doivent pas être visées « en fonction des religions », a-t-il poursuivi.

Et le sentiment est sensiblement le même du côté de Jean-Luc Mélenchon, qui s’interrogeait jeudi dans une publication sur le réseau social X, sur les manquements en matière de contrôle.

« A propos de Bétharram. Peut-on savoir comment 112 enfants ont pu être agressés, des personnes condamnées, d’autres suicidées, pendant 60 ans sans qu’aucune inspection aucune vérification, n’ait conduit à la rupture du contrat d’association de cet établissement privé ? », a déclaré l’ancien candidat de gauche à l’élection présidentielle.

Et de conclure : « Il y avait deux lycées musulmans dans le pays, ils ont été fermés tous les deux à cause de bouquins qu’on y a trouvé. Donc on sait fermer! »

Pour rappel, 112 plaintes ont été déposés par d’anciens élèves du groupe scolaire Notre-Dame de Bétharram, situé à proximité de Pau, où François Bayrou est maire. Il est aujourd’hui mis en cause et accusé d’avoir couvert les faits et de ne jamais les avoir dénoncés à la justice alors même qu’il aurait eu connaissance de certaines violences exercées dans cet établissement où étaient scolarisés ses propres enfants.

Une enquête a été ouverte en 2024 par le parquet de Pau et permettra de faire la lumière sur ces accusations portant sur des faits intervenus entre 1970 et 2010 dans le huis clos de cet établissement catholique privé béarnais réputé pour son extrême rigueur.

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