Alors que les attaques anti-musulmans sont en pleine croissance, plusieurs des principaux cadres du PS ont signé une tribune honteuse dénonçant le terme d’islamophobie employé par la direction du parti.
Capture d’écran : BFM TV
Dimanche dernier, plusieurs cadre du PS et figures de l’opposition à Olivier Faure au sein du parti à la rose ont signé une tribune dénonçant « l’utilisation de la tragédie de la mort d’Aboubacar Cissé pour imposer le terme d’ « islamophobie » dans l’espace public, dans une logique émotionnelle et confusionniste ». Cette tribune, signée entre autres par le récent perdant du congrès du PS et son bras droit, Nicolas Mayer-Rossignol et Jérôme Guedj, par la présidente de la Région Occitanie Carole Delga ou encore par des figures du parti telles que Michaël Delfosse, David Assouline ou Laurence Rossignol, détonne de façon particulièrement honteuse dans un contexte où la cabale islamophobe menée de concert par le gouvernement et l’extrême-droite se poursuit et que les actes ciblant les personnes musulmanes augmentent significativement.
Un débat sempiternel au service de la légitimation de l’islamophobie d’Etat
Le débat n’a rien de nouveau, mais c’est la décision prise par la direction du PS d’instaurer un « secrétariat national à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie » qui a ravivé les braises. La tribune s’oppose au terme « d’islamophobie » en tant qu’il serait « ambigu, politisé, et souvent détourné pour remettre en cause les fondements mêmes de notre pacte républicain ». Dans la droite lignée de Manuel Valls en son temps, les signataires préfèrent le terme de « racisme antimusulman » afin de « s’inscrire dans un cadre universaliste, sans céder aux injonctions de celles et ceux qui voudraient faire de la religion un critère politique ». Souhaitant lutter d’une part contre les « récupérations stigmatisantes d’extrême-droite » et de l’autre contre les « dévoiements communautaristes d’une certaine gauche », l’aile droite des socialistes invoque la sacro-sainte laïcité républicaine et va même jusqu’à oser évoquer l’attentat de Charlie Hebdo et l’assassinat de Samuel Paty pour justifier leur rejet du terme d’islamophobie.
Un débat sémantique d’apparence inoffensif, mais qui en dit long sur le rapport du Parti socialiste à l’islamophobie ambiante en France. Alors que les actes ciblant les personnes musulmanes ont augmenté de 75% en seulement un an ; que Retailleau, l’extrême-droite, la macronie et les plateaux télé s’acharnent quotidiennement contre les musulmans ou assignés comme tels ; qu’il y a seulement quelques semaines le meurtre froid d’Aboubakar Cissé au sein d’une mosquée suscitait l’émoi ; ou bien encore que le gouvernement prépare une véritable offensive islamophobe comme le prétendu « entrisme islamiste », la publication d’une telle tribune est tout simplement honteuse. Mais elle n’a en réalité rien de surprenant lorsque l’on connait l’historique du Parti socialiste avec les lois islamophobes ces dernières années : vote de l’interdiction du voile en 2004, abstention complice lors du vote de la loi séparatisme en 2021, soutien à l’interdiction de l’abaya en 2023 … Localement, le maire de Montpellier Michaël Delfosse, signataire de la tribune, a cette année ciblé les associations musulmanes en leur imposant une « charte de laïcité ».
En somme, le débat sans fin entourant l’usage du mot « islamophobie » au sein du Parti socialiste masque surtout une légitimation de l’islamophobie d’Etat, que le PS a lui-même mis en place lorsqu’il était au pouvoir. Le soutien à cette tribune de la constellation du Printemps Républicain, dont on connaît le passif islamophobe, et du journal Franc-tireur (qui écrit que « le PS s’était toujours tenu intelligemment loin de ce « mot-piège » qui vise la laïcité et la liberté d’expression à la Charlie ») témoigne bien du fait que derrière la polémique se cache une laïcité à géométrie variable qui justifiera les politiques racistes, stigmatisantes, réactionnaires et antimusulmans à venir..
Derrière la polémique, une bataille bureaucratique pour la direction d’un parti en état de décrépitude
Mais derrière ce débat de principe se cache surtout une bataille d’appareil pour un parti en décomposition totale. En témoigne l’hypocrisie de Jérôme Guedj, signataire de la tribune qui ne voyait pourtant aucun problème à qualifier d’islamophobe – à juste titre – le meurtre d’Aboubakar Cissé en avril dernier. De fait, l’enjeu pour les auteurs de la tribune est de dénoncer l’usage d’un terme qui « valide les thèses d’une gauche identitaire et communautariste, qui dénature l’antiracisme et affaiblit la laïcité ». En clair, de se délimiter clairement de La France insoumise et d’enterrer définitivement toute perspective d’alliance avec le parti de Jean-Luc Mélenchon, sujet qui avait polarisé le congrès du PS en juin dernier.
Alors, bien loin de s’enquérir de la lutte contre les actes islamophobes en France, la tribune apparaît comme une tentative de la part de l’aile droite du parti de contester une direction politique plus fragile que jamais. De fait, elle témoigne des profondes dissensions existantes au sein du PS et que le congrès n’a en rien résolu. Loin de grands désaccords stratégiques ou sur le projet politique, ces passes d’armes entre figures socialistes révèlent surtout un conflit entre bureaucrates sur la manière de conserver la machine institutionnelle qui les fait vivre. En somme, une guerre d’appareil pour la direction d’un parti, qui à chaque fois qu’elle a pu, a fait la démonstration de son orientation raciste et antipopulaire, et dont la crise terminale ne semble jamais prendre fin.
Alors que le PS cherche à redonner du souffle à son projet social-libéral bourgeois, notamment en initiant le Front Populaire 2027, il n’en reste pas moins qu’il demeure englué dans une crise historique après la débâcle de 2022. Si les alliances électorales rendues possibles par LFI et le « front républicain » ont permis de lui donner un sursis et de continuer à jouer un rôle délétère – comme en témoigne cette nouvelle tribune abjecte –, il est grand temps que notre classe rompe définitivement avec des années de politiques austéritaires, sécuritaires et racistes menées par le Parti socialiste et cherche à obtenir des victoires en comptant sur ses propres forces, loin du terrain institutionnel et des partis bourgeois.

