Juives et juifs revolutionnaires !

Dans leur appel à manifester le 8 mars, Urgence Palestine, Samidoun et d’autres ont franchi une étape supplémentaire vers la confusion politique qui crée les conditions de passage à l’acte antisémite. Ils ont partagé une affiche qui enjoint à arrêter « surtout les fascistes et les sionistes ».

De la part d’organisations dont les militants utilisent le mot « sioniste » sans distinction pour parler de la grande majorité des personnalités et organisations juives (dont la nôtre) qui se battent contre l’antisémitisme, sans lien avec leurs positions réelles, cet appel résonne comme une exhortation à exclure par la force les Juif·ves qui ne montreraient pas patte blanche. Dans le contexte d’explosion des actes antisémites, ayant souvent pour motif le soutien à Israël supposé des victimes, cette communication s’apparente à mettre une cible dans le dos des organisations, mais aussi des militants et militantes juives qui voudraient manifester.

Le collectif Nous Vivrons est spécifiquement visé dans le texte qui accompagne cette affiche. Il l’avait déjà été il y a un an, lorsque certain·es manifestant·es avaient planifié sous le même prétexte de les empêcher de participer au 8 mars. Il est légitime et nécessaire de critiquer ce collectif, pour sa proximité affichée avec le Printemps républicain, son amalgame régulier entre antisionisme et antisémitisme, son islamophobie affichée ou son absence totale d’expression de solidarité envers les femmes palestiniennes sous les bombes. Mais amalgamer ce collectif qui s’inscrit dans le champ politique du centre ou de la droite républicaine à un groupe fasciste comme Némésis est avant tout une manifestation du confusionnisme ambiant. Cela s’inscrit plus largement dans une « chasse aux sionistes » réels ou imaginaires et une assimilation de la majorité des Juif·ves au fascisme qui ne fait avancer ni la cause palestinienne ni la cause antiraciste et crée les conditions de passages à l’acte antisémite. En effet, ce récit que des militant·es cherchent à imposer permet de se sentir légitime à agresser toute personne juive qui ne crie pas sa haine d’Israël dans l’instant. Car personne n’est dupe, les organisations et militant·es non-juif·ves ne reçoivent pas les mêmes injonctions.

Au lieu d’une critique progressiste du sionisme, au lieu d’une stratégie d’élargissement du soutien au cessez le feu et à la construction d’une paix juste et durable, cette « chasse aux sionistes » n’est rien qu’une radicalité de posture qui fait l’impasse sur la pluralité des définitions et des usages du terme sionisme en circulation dans l’espace public. La manière dont le terme est utilisé et compris peut aller de l’adhésion à une solution à deux États, associée à un rejet du gouvernement israélien et de la colonisation (position d’une majorité des Palestinien·nes et de la gauche française), jusqu’au messianisme colonial de l’extrême droite israélienne. Dans le langage complotiste soralien et dans les Protocoles des Sages de Sion, il est même assimilé non pas à l’idée d’un État à majorité juive et ses conséquences sur les Palestinien·nes mais à un plan occulte de domination mondiale. Cette pluralité des définitions et compréhensions du terme « sionisme » et l’association systématique du terme « sioniste » à « génocidaire » ouvre la voie à des violences antisémites, en plaçant une cible dans le dos de la grande majorité des Juif·ves considéré·es comme responsables des agissements du gouvernement israélien sous prétexte qu’iels ne font pas profession d’antisionisme.

Si la critique du sionisme, comme de toute idéologie nationale, ainsi que la dimension coloniale du fait national israélien est nécessaire d’un point de vue progressiste, celle-ci ne peut consister à rendre la vie des Juif·ves impossible en diaspora, ni à ignorer l’antisémitisme qu’iels subissent. Nous ne pouvons manquer à cet égard de constater l’hypocrisie et le deux poids deux mesures appliqué ici : à la veille du 8 mars, les signataires prétendent lutter contre le fascisme mais comptent parmi eux Urgence Palestine dont certains membres ou dirigeant·es ont à plusieurs reprises salué ou appelé à continuer le massacre commis le 7 octobre 2023, et Samidoun dont la coordinatrice internationale Charlotte Kates se rendait à Téhéran en août dernier pour recevoir un prix des droits humains de la part du régime iranien, qui emprisonne, tue ses opposant·es et réprime violemment le mouvement féministe iranien. Samidoun était récompensée aux côtés entre autres d’un dirigeant du Jihad Islamique et, à titre posthume, d’Ismaïl Haniyeh et du général Zahedi (qui dirigeait les troupes d’élite iraniennes présentes en Syrie). Leur vision n’est pas moins porteuse de confusion que les collectifs qu’iels dénoncent et semble difficilement compatible avec l’un des mots d’ordre du 8 mars : la solidarité avec les femmes du monde entier. La critique de collectifs tels que Nous Vivrons ne peut être soluble dans l’antisémitisme ou la défense des criminels au pouvoir en Iran et qui ont sévi si longtemps en Syrie !

Pour autant, nous condamnons fermement la menace d’interdiction, par le préfet de police de Paris Laurent Nuñez, de la marche nocturne féministe radicale du 7 mars, organisée par l’Assemblée Féministe Paris-Banlieue. Cette interdiction serait justifiée par un prétendu risque pour l’ordre public, au motif que des organisations pro-palestiniennes y auraient appelé à participer. Bien que nous soyons en conflit avec certaines de ces organisations, notamment Samidoun et Urgence Palestine, il est hors de question que la manifestation féministe soit mise en péril. Interdire une manifestation antiraciste et antipatriarcale ne sera jamais acceptable, aussi car les critiques doivent pouvoir exister et se confronter. Elles ont leur place au sein même des mobilisations, et non dans leur répression. Empêcher un tel espace d’expression ne fait que stériliser le débat et se révèle, de toute façon, contre-productif.

Dans un contexte où le fascisme est aux portes du pouvoir en France, il est urgent de sortir de la confusion généralisée et de tracer une ligne claire face à toutes les dérives, antisémites, campistes ou islamophobes.

L’affiche et les signataires de l’appel à arrêter « les fascistes et les sionistes »

 


Source: Juivesetjuifsrevolutionnaires.fr