Franck Frégosi : Une tradition interventionniste, paradoxale pour un État laïque !

Affichant son intention de reprendre en main l’organisation de l’islam hexagonal, le ministre de l’Intérieur se situe dans la droite ligne d’une tradition interventionniste, paradoxale pour un État laïque, explique le politologue Franck Frégosi.

Le 4 février 2024, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et des Cultes, a reçu pour la première fois certains membres du Forum de l’Islam de France (Forif). Cette « prise de contact », selon les mots d’un participant, précède une réunion formelle de cette instance créée par son prédécesseur Gérald Darmanin, prévue le 18 février.

Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS et professeur à Sciences Po Aix, étudie les politiques publiques du religieux en situation de sécularisation. Dans son livre Gouverner l’islam en France (Seuil, 2025, 23 €), il met en perspective la façon dont les gouvernements successifs, depuis 1989, tentent de créer un cadre dans lequel devrait idéalement s’exprimer l’islam dans la République. Avec l’obsession du contrôle et une vision surplombante qui peine à composer avec les réalités plurielles du terrain.

En quoi la façon dont l’État prétend organiser l’islam en France est-elle marquée par notre histoire coloniale ?

La question « Comment gouverner l’islam en France ? » a d’abord été posée dans le contexte particulier de la colonisation de l’Algérie. Au Maroc et en Tunisie, le régime du protectorat maintenait une apparente autonomie locale avec la présence de souverains comme le sultan du Maroc ou le bey de Tunis. La gestion du culte musulman restait sur place relativement autonomisée par rapport au pouvoir colonial.

 

En Algérie, en revanche, dès le milieu du XIXe siècle, on assiste pour la première fois à une tentative d’administration du culte musulman par … Lire la suite sur LaVie.fr ( abonnés )

 

La question de la compatibilité de l’islam avec la République oriente nombre de débats en France depuis des décennies. Elle voile pourtant une réalité qu’on n’interroge pas : le culte musulman est gouverné par l’État.

L’encadrement de l’expression et de la diffusion de l’islam est en effet l’objet de politiques publiques depuis l’Algérie coloniale. Dans l’Hexagone, la sédentarisation progressive des populations musulmanes issues de l’immigration, puis la montée de l’islamisme l’ont continûment renforcé.

Alors que les attentats des années 2010 polarisent les débats à son sujet, ce livre questionne l’efficacité d’une telle gouvernance grâce à une analyse inédite de ses logiques et de ses acteurs, publics et privés, séculiers et religieux. Si l’État impose règles et contraintes, il est aussi en quête de partenaires musulmans susceptibles de les relayer. Sont ainsi promus des auxiliaires religieux officiels, réputés loyaux, et un islam discret, « moderne » et « républicain ».

Cette interprétation de la religion musulmane, légitimée par quelques experts engagés, conduit cependant à disqualifier toutes ses autres expressions comme « séparatistes », et à dénier son indépendance, pourtant éminemment souhaitable, vis-à-vis de la puissance publique. Fondé sur une formidable connaissance du terrain, cet essai pose ainsi une question inattendue : la religion ne resterait-elle pas, en France, une sacrée affaire d’État, en dépit d’une laïcité proclamée ?

Franck Frégosi est directeur de recherche au CNRS (UMR Groupe Sociétés, Religions, Laïcités). Spécialiste des questions d’organisation de l’islam en France, il étudie les politiques publiques du religieux en situation de sécularisation et enseigne à Sciences Po Aix. Il a notamment publié Penser l’islam dans la laïcité (Fayard, 2008).

Franck Frégosi, Gouverner l’islam en France, Seuil, janvier 2025, 384 pages, 23 €.