Depuis sa première chronique dans l’émission “C à vous”, l’humoriste est l’objet d’une sidérante campagne raciste et diffamatoire portée par l’extrême droite. La ministre de la Culture a en outre annoncé le 5 février qu’il “ne sera plus à l’écran”. Il est crucial de démonter ces accusations et de le soutenir.
C’est une lamentable affaire où il n’est pas évident de faire la part du racisme pur et simple, de la stupidité et de la mauvaise foi, mais dont il convient d’abord de rappeler les maigres faits, afin de démonter d’emblée les accusations délirantes dont est la cible un humoriste taxé carrément depuis deux jours de salafisme – n’ayant pour tort que de porter un prénom arabe, une barbe, et de pratiquer un second degré évident.
Merwane Benlazar est un humoriste actif depuis une petite dizaine d’années sur les plateaux parisiens. Son style est volcanique, euphorique, légèrement infantile ; il manie l’impro et la répartie à une vitesse de lièvre, et joue depuis deux ans un seul-en-scène, Le Formidable Merwane Benlazar (Les Inrocks en avaient parlé en 2023). Il officie depuis la rentrée de septembre en tant que chroniqueur dans l’émission Zoom Zoom Zen de Matthieu Noël sur France Inter. Le 31 janvier dernier, il a fait sa première chronique dans C à vous sur France 5. Il a depuis vu déferler sur lui une avalanche de posts mettant en cause son apparence, “total look frérosalafiste” selon l’avocate Lara Fatimi, à savoir un bonnet court et une barbe. Des journalistes, influenceurs et personnalités politiques d’extrême droite (Damien Rieu, Pierre Sautarel, Erik Tegnér, Gilbert Collard, Élisabeth Lévy…), mais aussi des profils d’une sphère laïciste moins marquée, comme la militante Henda Ayari qui a lancé une pétition (“Contre la présence des islamistes sur nos chaînes publiques”, 6 203 signatures au moment où nous écrivons ces lignes), et enfin des personnalités du centre et de la macronie ont relayé cette alerte sans faire cas du contenu réel de la chronique : le déplacement de Manuel Valls à Mayotte, la fortune de Bernard Arnault, le multiplexe de la Ligue des champions.
Cyberharcèlement
Le contraste entre ces sujets inoffensifs et une réaction comme celle de la députée européenne Horizons Nathalie Loiseau friserait le gag si le cran que ces interprétations démentielles font franchir à l’étalonnage du racisme médiatiquement acceptable en France n’avait de quoi glacer le sang. Mercredi 5 février, la ministre de la Culture Rachida Dati a ainsi annoncé au Sénat qu’il “ne sera plus à l’écran” (le groupe Mediawan, qui produit C à vous, a précisé auprès de l’AFP qu’il n’“a[vait] pas lieu de revenir ou pas”, sa participation du 31 janvier s’étant faite dans le cadre d’un “remplacement ‘one shot’”, et que la chronique de l’humoriste n’avait “occasionné aucun manquement à ses obligations de la part de France Télévisions”).
Les adversaires de Benlazar, dans la sphère Bolloré (qui lui a comme de bien entendu fait l’honneur de plateaux “débat” sur CNews et Europe 1) ou sur les réseaux, ont mobilisé des éléments antérieurs : des chroniques sur France Inter où il a tourné en ridicule les forces de l’ordre ou qualifié de “porcs” les téléspectateurs de Miss France, et deux posts de 2021 sur X (ex-Twitter), l’un mentionnant la charia (sans rien promouvoir : on lui reproche simplement d’avoir prononcé le mot), l’autre caricaturant un message de prédicateur intégriste en réponse à une amie (“La place d’une femme est à la demeure auprès de son père. Crains le seigneur.”). Il a depuis passé son compte en privé, ce que les mêmes interprètent comme une possible dissimulation de preuves, et non une réaction bien compréhensible face à ce raid de cyberharcèlement.
Mauvaise foi
Il faut le dire avec une fermeté et une limpidité absolue : Merwane Benlazar n’est pas un islamiste. Pour celles et ceux qui le suivent, pour n’importe quelle personne décidée à regarder avec un peu de bonne foi son travail, cela tombe sous le sens, c’est absurde d’avoir à le préciser. C’est un stand-uppeur dont une des blagues favorites est notamment de parodier l’intégriste ou le prosélyte, pour jouer du soupçon que fait peser sur lui son apparence – retournement du stigmate absolument classique et banal en humour. Le 6 janvier, alors que Maxime Musqua était reçu sur France Inter pour parler de son livre sur la sobriété, il le tançait sur le fait qu’arrêter l’alcool “c’est très bien, mais maintenant il faut aller au bout de cette démarche et accepter l’islam dans son entièreté”. Son set au festival de Montreux il y a deux ans s’ouvrait en adressant au public la “bienvenue à cette conférence sur l’islam” – toute la salle était hilare et comprenait sans difficulté l’ironie. Il y développait ensuite une anecdote, qui résonne aujourd’hui, sur le changement de regard de ses voisines âgées lorsqu’il s’est laissé pousser la barbe après avoir regardé la série Vikings.
C’est un habitué de ce type d’humour, dont relève évidemment son message sur X – sa destinataire l’a d’ailleurs confirmé. Le terme de “porcs” de sa chronique sur Miss France, présenté comme une pièce incriminante, renvoie tout aussi évidemment à Balance ton porc et à une critique du patriarcat, et non à un interdit islamique – Benlazar a déjà également parlé sur scène des accusations de viol visant Gérald Darmanin, aussi vertigineux qu’il puisse sembler qu’un arabe ait une sensibilité féministe. Tous les éléments du dossier à charge compilé contre lui relèvent au mieux d’un libre exercice de la satire balayant toute mise en cause, au pire de déformations graves, imbéciles et diffamatoires.
Ce qui se joue ici n’est rien de moins que le droit des arabes au second degré. Benlazar est suspect par principe : le sarcasme même le plus ostensiblement signalisé est retenu contre lui – s’il fait cette blague, ce serait qu’au fond il n’en pense pas moins, et manœuvrerait sous couvert d’humour pour banaliser l’islam radical. Celles et ceux qui colportent ces soupçons se déshonorent – peut-être par bêtise, leurs a priori les empêchant de saisir des registres ironiques pourtant à la portée d’un enfant de douze ans ; peut-être par mauvaise foi, sachant leurs accusations mensongères, mais les propageant quand même, afin de ne pas manquer une occasion de faire payer coûte que coûte le prix fort à celui qui a eu l’outrecuidance en 2025 d’être un arabe à la télévision française.
Merwane Benlazar ne fera plus de chronique dans « C à Vous », annonce Rachida Dati