Dans des domaines aussi variés que l’islamisme, le soufisme, le salafisme, le fondamentalisme, le chiisme ou l’antisionisme, parmi les figures contemporaines aujourd’hui disparues – respectables ou contestables – il y a des noms qui me viennent spontanément à l’esprit (dans n’importe quel ordre), comme ceux du Professeur Muhammad Hamidullah, du Professeur Malik Bennabi, du Cheikh Ben Badis, du Professeur Hassan Al Banna, du Cheikh Nazim Haqqani, de René Guénon, du Cheikh Ben Baz, de l’Ayatollah Khomeyni, du Cheikh Yassine, de Ben Laden ou d’Al Baghdadi. Courageux mais pas téméraire, par bienveillance philanthropique ou pour éviter des désagréments, je n’épiloguerai sur aucun de ces divers mouvements religieux, culturels, politiques ou géopolitiques, sur la considération ou pas à apporter à ces diverses personnalités et sur les réelles motivations de leurs zélateurs.
Malgré le peu d’estime que leur prodiguaient les élites de leur vivant, certains courtisans n’hésitent pas à s’ériger en successeurs et en détenteurs exclusifs de leurs enseignements voire de leur patrimoine. Rarement irréprochables, les supposés adeptes s’attachent principalement à camoufler leur médiocrité en usant et abusant de la réputation de leurs faire-valoir. Pour paraphraser James Brown, le célèbre chanteur américain : « leurs modèles leur ont appris tout ce qu’ils savent mais pas tout ce qu’ils savaient ». Négligeant ouvertement les enseignements et les prises de position de leurs références, si ce n’est en propageant des absurdités et des indiscrétions pour se rendre intéressants, les faux émules finissent inéluctablement par se contredire et se trahir en ne mystifiant que les dupes.
Beaucoup d’apôtres des causes et des personnages évoqués ci-dessus considèrent les œuvres de ce dont ils se disent les porte-étendards comme leur chasse gardée, plus souvent par intérêt personnel ou financier que par devoir de mémoire. En plus d’être superficiels, incompétents et d’utiliser la réputation d’autrui comme tremplin, ces mauvais élèves ne souffrent pas que d’autres qu’eux aient voix au chapitre. Alors, bien que dépourvus de tout mandat, ils s’érigent en gardiens de temples qu’ils sont incapables de bâtir, faute de matériaux relatifs à leurs « idoles », et s’évertuent à dénigrer voire à combattre ceux qui ont à cœur de faire rayonner ce dont ils font étalage pompeusement.
En ce qui me concerne, il y a près de cinquante ans, fraichement converti à l’Islam, après avoir milité au sein de Jamaat-at-Tabligh, la congrégation missionnaire piétiste bien connue, j’ai eu la chance et l’honneur de côtoyer quasi quotidiennement le Professeur Hamidullah (RahimahouLLAH) pendant plus de quinze ans. Quitte à contrarier ceux qui m’ont gommé de son entourage, j’ai eu le privilège de lui être très proche et de profiter de son érudition, de sa dévotion religieuse, de son excellente éducation et de son exemplarité. En participant modestement à certaines de ses activités, il m’a tout au moins insufflé sa rigueur intellectuelle. Profondément reconnaissant, par déférence et par devoir, je me suis attaché à diffuser ses travaux[1], (ses livres, articles, conférences) de sorte qu’ils perdurent et profitent aux générations à venir, en me gardant d’en faire état exagérément ou d’en tirer le moindre profit.
Rappelons respectueusement que si les Prophètes n’étaient pas infaillibles, à plus fortes raisons les humains ordinaires ne le sont pas non plus. Avoir de l’empathie du respect pour des causes et pour les grands esprits n’implique pas de tout approuver aveuglément. Exalter les qualités de ceux qu’on prend pour modèles n’implique pas d’occulter leurs défauts et leurs erreurs. Partager la plupart de leurs idées et de leurs actions ne dispense pas de rester critique, respectueusement, et encore moins d’accepter l’inacceptable. Il est indispensable de rester objectif en toutes circonstances et de s’interdire de soutenir inconditionnellement ce qui est insoutenable, quitte à affronter loyalement ceux qui persistent dans leur égarement et leur obstination. « Que DIEU nous guide vers ce qu’IL aime et agrée ! ».
Il ne faut pas imiter qui que ce soit naïvement, surtout dans ce qui prête à caution voire au doute. Il faut rester ouvert, tolérant et actif. D’abord, étudier ce qu’on ne connaît pas et le confronter avec ce qu’on connaît. Ensuite, admettre qu’on peut se tromper et qu’autrui a peut-être de bonnes raisons de penser ou d’agir différemment. Enfin, chercher à produire et non pas uniquement à consommer ou à critiquer ce qui nous semble imparfait. Evitons notamment de tomber dans l’ultracrépidarianisme (un grand mot pour désigner ceux qui traitent des sujets qu’ils ne maîtrisent pas) en outrepassant nos connaissances et compétences, à l’instar de ces « érudits » superficiels, de ces influenceurs et autres disciples à deux balles, peut-être bien celles qui m’ont inspiré le titre de cet article.
[1] Index des articles / livres | PR. MUHAMMAD HAMIDULLAH
Daniel Youssouf Leclercq